Interview du Dr. Cédric Villeminot

Médecin généralise installé à Annecy, Dr Cédric Villeminot est un passionné de e-santé. Dévoué à ses patients, il a accordé de son temps précieux à Myriam Benfatto pour parler téléconsultation. Découvrez ci-dessous le résultat de l’échange et les réponses détonantes d’un médecin convaincu.

 

1/ Docteur, qu’est-ce qui vous pousse à être si engagé dans la téléconsultation ?

Un goût certain pour l’e-santé! Je suis convaincu depuis très longtemps que les nouvelles technologies sont sources de qualité des soins et peuvent largement contribuer à solutionner la problématique quantitative actuelle (démographie médicale, demande toujours croissante). Je suis convaincu qu’il faut s’engager vers une transformation de nos pratiques en mettant en avant « enfin » le volet de la prévention plutôt que le curatif… sans oublier l’intérêt d’un second souffle en milieu de carrière, avec un souhait de se remettre en cause, de sortir de sa zone de confort, de progresser, plutôt que de rester sur des acquis qui sont obsolètes !

 

2/ Combien de temps passez-vous en moyenne par téléconsultation ?

Entre 15 et 20 minutes, exactement comme en présentiel, pas plus, pas moins. Puisque l’examen clinique n’est pas «encore» possible à distance, je compense par l’échange, l’écoute, l’empathie avec mes patients. En cabinet, le médecin, souvent débordé, n’a pas toujours le loisir de pouvoir autant échanger avec ses patients. C’est véritablement la force méconnue de la téléconsultation… à l’inverse de ce que l’opinion professionnelle pense trop souvent, la téléconsultation ramène une relation humaine parfois oubliée pendant nos consultations «physiques».

 

3/ Est-ce que la téléconsultation permet de mieux suivre vos patients ?

Les téléconsultations vont permettre un meilleur suivi de nos patients… à terme !

On ne peut pas dire que cela soit le cas actuellement, mais ça le sera, j’en suis convaincu, notamment grâce aux Dispositifs Médicaux, aux objets connectés, aux datas recueillies de façon automatique et même instantanée dans «MES – Mon Espace Santé», grâce à l’interopérabilité à venir de nos logiciels de gestion patients, avec l’appui de l’IA et probablement de nouveaux métiers (délégation des tâches) qui nous permettront d’être alertés.

Ainsi, nous allons devenir des « médecins augmentés » (j’adore cette notion !), nous pourrons enfin prendre tout notre rôle d’ingénieur de la médecine, en mettant au service de nos patients notre expertise et notre expérience médicale ! Voilà comment la téléconsultation et la télémédecine d’une manière plus générale pourront permettre de «mieux suivre» nos patients chroniques… car c’est tout l’enjeu.

La téléconsultation, actuellement, peut largement répondre à des situations de pathologies aiguës et peut prendre une large place dans la gestion des SNP. Son rôle dans la gestion des patients chroniques est encore limité mais l’avenir prouvera sa puissance sur ces pathologies !

 

4/ Où sont géographiquement vos patients ?

Je suis situé en Haute-Savoie. Les patients que je reçois en téléconsultation viennent de partout en France, mais pas que.  

Initialement, il s’agissait surtout de patients d’Ile-de-France, puis des grandes métropoles, mais aujourd’hui mes patients viennent de partout … et quand je dis partout, je rajoute : La Réunion, Les Antilles, Mayotte, La Guyane, la Nouvelle-Calédonie, l’Espagne, le Danemark et la Suède ! Ce sont en quasi-totalité des patients assurés en France mais nous avons quelques patients étrangers : nous les recevons avec des échanges en Anglais (pour ma part), ce qui facilite la compréhension de leurs pathologies.

Certains de mes confrères téléconsultent également en allemand, espagnol, italien, arabe, et même chinois, en fonction des demandes des patients. Cela contribue aussi à faire de nous des médecins qui se remettent en question et qui ont une vision bien plus ouverte que dans nos cabinets.   

 

5/ Est-ce que la téléconsultation améliore votre qualité de vie en tant que médecin ? Quid du gain de temps ? 

La réponse est bien entendu un grand OUI ! Ce n’est pas forcément en « gain de temps » qu’il faut raisonner. A première vue, la téléconsultation peut apparaitre comme une «Cash machine». Mais il faut s’écarter de cette vision… La téléconsultation permet, sur ses propres patients, en fonction des motifs de consultations, « d’externaliser » certaines expertises. Après avoir reçu un patient au cabinet pour un bilan clinique avec examen physique complet, qui donne lieu à des examens complémentaires, pourquoi ne pas « expertiser » ses résultats d’analyses et d’imagerie à distance ? C’est un confort pour le médecin qui exerce de chez lui (ou ailleurs !). Le monde change, se transforme, avec la situation sanitaire de la covid 19, le monde a compris que l’on peut AUSSI réaliser nombre de tâches en télétravail ! Pourquoi la médecine n’en ferait pas partie ? Il faut vivre avec son temps ! 

Le patient peut lui aussi gagner un temps précieux dans sa journée et ne pas imposer au médecin de rester très tard à son cabinet, loin de sa famille, uniquement parce que le patient est dans les bouchons au retour de son propre travail et ne peut venir avant… pour un rdv non urgent ! 

Un peu d’écologie aussi ne fait pas de mal non plus, puisque des allers-retours en voiture sont évités grâce à la téléconsultation.  

Bref, une chose très importante : la qualité de vie d’un médecin ne réside pas forcément en un gain financier mais bien plus en un bien-être moral, en étant plus proche de sa famille… Le moral du médecin n’en sera que meilleur, ainsi, il sera beaucoup plus à l’écoute et donc au service de ses patients alors que jusqu’ici, le médecin a l’image d’une personne débordée, toujours dans l’excitation et la précipitation… délétère à la qualité des soins ! Le slow working a du bon, surtout lorsqu’il s’agit de la santé. En médecine générale, prendre son temps, pouvoir être libéré de contraintes (administratives, puisque les plateformes de téléconsultation permettent souvent d’être libéré des tâches administratives et financières), c’est la clé de l’amélioration de la qualité de vie du médecin ! 

 

6/ Est-ce que la téléconsultation améliore vos revenus de médecin ? 

Je crois avoir répondu à la question précédente : NON, pas forcément, et cela ne doit à mon sens pas être le critère qui pousse un médecin à se transformer. Encore une fois, la téléconsultation, si l’on souhaite la rendre qualitative, ne doit pas être une « cash machine” sinon elle sera décrédibilisée… et les syndicats de Médecins Généralistes ainsi que le Conseil de l’Ordre sauteront sur l’occasion, par leur archaïsme légendaire, pour s’opposer à cette transformation de notre exercice.  

 

7/ Comment répartissez-vous vos consultations en cabinet et en téléconsultation ? 

Jusqu’ici, avec la crise covid, c’était 90% de téléconsultations et 10% de consultations au cabinet. Dans mes rêves, ça serait 50% / 50%. Dans les faits, ce sera plus complexe à partir du mois d’avril en raison de de la convention et des textes signés par les syndicats de MG avec la CNAM, puisque l’avenant 9 stipule que: il faut promouvoir la télémédecine qui a fait ses preuves, et, pour cela, il convient d’en limiter son usage à 20% maximum des pratiques des médecins libéraux …  

Cherchez l’erreur ??? Si cela n’est pas fait pour tenter de stopper la progression de la téléconsultation, à quoi sert alors cet article ? 

 

8/ Rencontrez-vous des obstacles avec la téléconsultation ? 

Des confrères réticents : Très nombreux sont les confrères, de tout âge, qui considèrent la téléconsultation comme une prise en charge « low cost » des patients, brandissant les risques de passer à côté de «pathologies graves» dont seul un examen clinique pourrait orienter le diagnostic… C’est alors oublier qu’une étude publiée en 2021 a montré que les diagnostics en médecine générale sont établis dans 70% des cas sur l’interrogatoire clinique, 25% par les examens complémentaires (biologie, imagerie) et 5,7% par l’examen clinique ! Dès lors, comment ne pas imaginer l’intérêt et toute la place que peut et doit occuper la télémédecine dans le champ médical aujourd’hui. 

Cette pratique est donc incontournable.  

En termes d’ergonomie et de matériel : À ce jour, la téléconsultation est accessible à tous les professionnels de santé, même sans grande connaissance des outils numériques. Du côté patient, un simple smartphone suffit. L’avenir réside bien entendu dans l’association de l’IA, des objets connectés et des DM qui permettront une prise en charge encore améliorée. Des solutions innovantes, très simples voire même « invisibles » pour le patient existent déjà, sont en perpétuel développement et amélioration, et apportent au praticien des éléments essentiels au diagnostic (i-Virtual en est un exemple parfait avec sa solution Caducy). Elles permettent donc (ou permettront) de prendre en charge des pathologies aujourd’hui complexes à gérer en téléconsultation et deviendront un usage de routine demain, car encadrées dans de bonnes pratiques médicales. 

 

9/ Quelles sont les pathologies qu’il est impossible de suivre en téléconsultation ? 

La traumatologie qui nécessite un examen physique. Certaines pathologies comme les infections urinaires chez l’homme ou bien les infections urinaires «compliquées» chez la femme, les otites, les pneumopathies… tout ce qui va nécessiter à ce jour une auscultation pulmonaire, cardiaque ou otoscopie. Mais demain ? Nous aurons forcément des objets connectés qui nous permettront de prendre en charge en téléconsultation ces pathologies. 

D’une manière générale, tout ce qui va être de l’ordre de pathologies présentant des critères de «gravité». Mais, si l’on raisonne bien, rien que de penser qu’il puisse s’agir d’une pathologie que l’on ne pourra pas prendre en charge en téléconsultation, c’est que la téléconsultation a déjà un intérêt… puisque cela permet déjà de «trier» les soins non programmés, les urgences ou non ! 

 

10/ Comment voyez-vous la téléconsultation dans 10 ans ?  

La téléconsultation sera incluse dans nos pratiques quotidiennes, comment l’imaginer autrement ? D’ailleurs, même si ce n’est pas nous, professionnels de santé qui le proposerons, les patients, beaucoup plus imaginatifs et demandeurs nous auront transformés ! La jeune génération est déjà dans le futur ! C’est d’ailleurs à nous actuellement de ramener certains jeunes à la raison pour qu’ils acceptent de revenir en consultation physique car certains n’ont pas vu de médecin en présentiel depuis plusieurs années. 

J’imagine la téléconsultation dans 10 ans beaucoup plus comme une téléexpertise de datas de santé, de constantes fournies par des objets connectés, et/ou analyse sémiologique d’examens cliniques réalisés par des IPA (infirmier en pratique avancée). L’idée, c’est de se dire que le médecin est à la médecine ce que l’ingénieur est à l’industrie… l’infirmier est le technicien… l’IPA est le technicien « supérieur ». Un technicien « coûtant » bien moins qu’un ingénieur.  L’IA peut largement remplacer nombre d’analyses et d’expertises d’ingénieurs, mais il en faudra toujours pour prendre la responsabilité médico légale. A mon sens, la « pénurie » démographique médicale actuelle (qui a été souhaitée et voulue, et même « organisée » par les syndicats et Conseil de l’ordre des médecins… parce que tout ce qui est rare… est cher !!!), ne sera à l’avenir pas un problème pour la prise en charge des patients.  

Il faut intégrer aussi le fait que depuis plusieurs décennies, tout a été organisé sur le principe que le médecin était au centre de la prise en charge d’un patient. Or, la « consommation » de soins par les patients aujourd’hui redistribue les cartes et place le patient au centre du système. Son dossier au coeur de la prise en charge (Mon Espace Santé) est un changement total de paradigme qui a pour conséquence de constituer une équipe soignante autour du patient et non plus l’inverse ! Exit le « médecin traitant », bonjour « l’équipe de soins traitante ». De fait, le patient est acteur de sa santé. 

Le médecin devient un opérateur de soins, en charge de l’analyse de datas de santé. Loin de déshumaniser la relation patient-médecin… c’est bien l’inverse qui se produit, puisque, après expertise, c’est la relation humaine qui prime pour l’annonce des résultats, et des propositions thérapeutiques. La téléconsultation trouve toute sa place et s’inscrit donc dans cette démarche de soins. Tout cela va dans le sens d’une amélioration de la prise en charge qualitative, quantitative, par la prévention…  

Et pour améliorer la téléconsultation, il faudrait encore plus de simplicité, que le tout soit ludique pour le patient, intégré à une solution existante, fonctionnant en arrière-plan, rapide, « sécurisé », apportant des informations précieuses, des constantes bien entendu, qui pourraient être reversées automatiquement dans « MES » peut-être …?